Le contexte

« L’éducation pour Tous », est l’une des priorités du gouvernement ; les chiffres de ces trente dernières années le prouvent : en 1980, le taux de scolarisation dans le primaire était de 64 %, aujourd’hui, selon l’UNICEF il est de 94 %. La scolarisation s’effectue sur un mi-temps. Cependant, il n’est pas égal et les ethnies minoritaires , qui représentent 14 % de la population et vivent dans les régions les plus pauvres sont moins enclines à scolariser leurs enfants ; l’accès à l’école n’est pas égalitaire.
l’intégration des minorités, à « l’égalité des conditions de vie ». En termes moins nuancés, il s’agit plutôt d’une « assimilation », et le mot « vietnamisation » est parfois employé.

Les Raglays

Aide & Action intervient dans 3 communes du district de Dien Khanh : Suoi Tien, Dien Tan et Suoi Cat, pas très loin de la ville de Nha Trang. Objectif : « prévenir la marginalisation des minorités et favoriser l’insertion sociale des enfants en sensibilisant les parents et les enfants à la scolarisation et à l’hygiène, en construisant les infrastructures indispensables, en lien avec les autorités éducatives concernées ».
L’exemple des Raglay (qui ne parlent pas le vietnamien chez eux) est significatif. Avec les responsables d’Aide & Action et le directeur du dispensaire, j’ai pu me rendre dans le village de Dien Tan.
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Cette ethnie semi-nomade vivait dans la montagne. Le gouvernement, pour favoriser leur sédentarisation a construit des maisonnettes en briques d’une vingtaine de mètres carrés. Changement de mode de vie radical. Cette nouvelle situation apporte des aspects bénéfiques : les soins et l’école sont gratuits, des points d’eau et des latrines sont aménagés, accès à l’électricité, etc. mais crée une rupture au regard de leur ancien mode de vie : « ils ne peuvent plus vivre comme autrefois, et en quelque sorte ils sont devenus plus pauvres encore et sont fragilisés à l’extrême ».
Perte progressive d’une identité, d’une culture, même si, comme Madame Vi Thi directrice de l’école primaire à Dien Tan qui accueille 30 Raglay sur les 305 élèves consciente du problème l’exprime : « nous cherchons à les intégrer socialement, mais en leur permettant de conserver leurs traditions ».
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Les parents, qui n’ont jamais été scolarisés ne percevaient pas son importance, d’autant que cela fait de la main d’œuvre en moins dans les champs ou la rizière, que les jeunes filles se marient à quinze ans… Aux dires des uns et des autres, au démarrage du projet, les choses ne furent pas très simples. Aujourd’hui on constate une grande évolution : amélioration de l’économie familiale, réduction du nombre de naissances, changement de mentalité quant à l’hygiène, rapport interethnique plus positif, etc.
A ma question : quels furent pour vous les apports essentiels du projet d’Aide & Action, Monsieur Vo Luong Tri directeur de l’école de Dien Tan me répond :
– la santé des enfants s’est nettement améliorée, notamment grâce au repas du midi (souvent le seul de la journée),
– la progression du travail scolaire des enfants des minorités,
– le changement de la mentalité des parents en terme d’hygiène, de scolarisation des enfants,
– de bonnes conditions de travail qui permettent un changement de mentalité à long terme, les enfants d’aujourd’hui devenant les parents de demain.
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Une réflexion

Je ne vais pas raconter la quotidienneté de l’action (le personnel présent sur place est plus habilité à le faire), mais souligner, quelques réflexions que m’inspire cette intervention dans un pays où l’Etat est omniprésent, les initiatives privées limitées, la société civile non organisée, la création d’association impossible (pas seulement dans le secteur de l’éducation). Une question de fond : comment être un acteur autonome, ayant sa propre identité, sa philosophie, tout en l’intégrant à la politique nationale ?

Nous sommes habitués à une autonomie associative plus grande dans une majorité de pays, mais quelque soit le contexte, une intervention trouve sa pertinence qu’intégrée à la politique nationale.

L’attente gouvernementale est celle d’un apport de fonds et pourrait se satisfaire d’une ONG qui uniquement construirait des salles de classe. Dans le cas présent, le maître d’œuvre est l’Etat et c’est le service de l’Education qui gère le projet. Ce contexte particulier nécessite un accord exigeant de façon à ce que les finalités de l’association s’expriment clairement et de bien distinguer les objectifs fondamentaux, des moyens mis en œuvre.

Un protocole d’accord signé avec le Comité populaire du district de Dienh Kanh permet une reconnaissance officielle de l’association. Par là-même Aide & Action n’est plus seulement un bailleur de fonds, mais est en dialogue permanent avec les instances politiques et éducatives quant aux priorités, aux actions à entreprendre, aux innovations à expérimenter. L’action est mise en œuvre en coordination avec l’ensemble des acteurs concernés (Etats, élus locaux, population, Aide & Action). L’association par son expertise sur les problématiques éducatives construit ainsi des partenariats qui permettent une réflexion commune, des appuis mutuels avec l’ensemble des acteurs. La réunion mensuelle, avec président et vice-président de la commune, chef du village, représentants de l’union des femmes, des jeunes, le responsable du dispensaire et Aide & Action, en est une illustration.
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L’action concrète (la formation et l’intervention des agents communautaires, la réalisation de points d’eau, de latrines, l’organisation de cours tout au long de la journée, la cantine, la formation du personnel enseignant à l’éducation et à la santé, etc.) à la fois concourt à un mieux être des minorités ethniques, dans le cadre d’une approche globale dont l’éducation est le vecteur, mais permet également d’expérimenter une manière de faire « alternative » incluant tous les acteurs. Par cette approche le développement de l’éducation s’effectue en synergie, notamment en concertation étroite avec les familles. Le processus par étape évite la dépendance et favorise une prise d’autonomie progressive.

Si Aide & Action est un acteur qui entre dans « le jeu » de l’Etat, il affirme son identité et apporte les moyens d’un savoir-faire dans l’action. Par cette démarche, l’association devient un des moteurs d’une réflexion plus fondamentale qui influe sur le système éducatif et favorise la mise en oeuvre de « bonnes pratiques » pour promouvoir l’Education pour Tous. Cette manière de faire nécessite beaucoup d’humilité.

Quelles perspectives ?

Concrètement, aujourd’hui l’inquiétude partagée entre les familles et les enseignants est la fin du projet, qui, s’il s’arrêtait maintenant, entraînerait une régression (alimentation des enfants, diminution de la motivation des parents pour envoyer leurs enfants à l’école, etc.)
Le projet initialement financé intégralement par Aide & Action, le fut à parité avec les instances locales dans une seconde phase. Une demande de financement à hauteur de 80 % pour les trois années qui viennent a été déposée avant une prise en charge intégrale par les instances locales.
Cette démarche, avec son transfert progressif dans le cadre de la politique locale, est assurément un gage de réussite et une manière de concevoir l’apport d’Aide & Action comme un acteur politique, qui favorise la mise en œuvre de services pour les enfants les plus éloignés du système éducatif, insuffle des initiatives, mobilise les acteurs concernés et ainsi interpelle sur la manière de répondre à la question : comment promouvoir l’éducation pour tous ?.